Basile

 

ROUCHIN

 
 
 
 

 

La bonne cause

 

 

Ce soir, on cause : tintements de coupes, rires étincelants, paroles au vent … On cause des grandes causes nationales, mondiales, écologiques, astronomiques. Ambiance cosy. Des causeries désincarnées qui reviennent presque à parler d'effets sans les faits les ayant générés ! Presque.

Des causes qui s'avèrent entendues, partagées, inversement proportionnel au fait que les combats demeurent passés, vains ou lointains ! Accoudé à la balustrade, on pérore sur la terrasse des bonnes intentions. On glose sur le cours du monde dans le vestibule des promesses. En philanthrope de service rompu aux vicissitudes de la vie, on spécule dans un cabinet tapissé d'idées, agitant sa conscience au secours de la veuve, de l'orphelin : cosettes éplorées, prêtes à l'emploi. Le danger traine toutefois l'odeur rance des habitudes douillettes et l'histoire dissimulent mal ses effluves de papier jauni.

Pire, on sait des causes ignorées, à deux pâtés de maisons près : douleurs muettes en attente d'une main tendue, sourires crispés en absence de complice, vies échouées faute de phares ; lueurs voisines, vulnérables, méprisées comme cette vieille fauchée hésitant à s'endetter pour une pêche, ce veuf inconsolable donnant le change au seuil d'une porte cochère ou l'orphelin du 3ème trompant sa solitude à coups de manuels scolaires.

Les paroles volent, volent, volent toujours plus haut et à la dérobée ! Des bouts de réel succèdent aux bouts de réel, sous le regard fasciné d'un public ahuri, tacitement consentant. Le chœur y est, pour sûr ! Et ça phrase avec brio, entre deux canapés, clin d'œil charmeur, sourire en coin. Assis, sereins, brillants. Les mots circulent sur plateau, bien présentés, alignés, consommables à volonté – bouchées pour âmes creuses, rhéteurs et dents longues. Confondant Diriger et Digérer, les langues à formules fustigent à souhait, leurs congénères. Le verbe au torse bombé trinque. Bulles pétillantes au son sourd, les sujets remontent le long des coupes. Les propos fondent en une mousse savoureuse : verrine déflorée par l'argenterie des anciens.

L'idiot observe cette démonstration d'esprits forts, rassasiés mais note un manque général de souffle, de tenue. Mobilisant tout son être, il se prépare alors à engager un dialogue digne de ce nom : prémisse d'une action qu'il espère concrète et d'envergure. Mots brassant de la matière sans poches d'air : sa voix chevrote ! Il prend son élan et lâche, sur la ligne de départ, ses ballons d'essai ! Dans l'assemblée, les piques ne tardent pas à fuser : « On dirait qu'il parle une langue étrangère, un amas informe d'idiomes ». Plage de silence. Enchaînement de rires, regards en coulisse. Personne ne relève cette tentative risquée et se détourne du trouble-fête relégué au rang de clown insipide. Empêchés l'espace d'un instant, les idéaux de salon se mêlent à nouveau aux cadavres. L'ordre des choses se rétablit vite - buffet assiégé, causes servies –

Détail d'intérieur, Éd. Intervention à Haute Voix, Chaville, 2015


 

A la tombée du jour

 

Ses maigres économies sont grevées par ce parasite de fils et elle craint en plus, l'arrivée imminente des « nuissiers ». Dans sa tête, se dessinent alors des personnages ringards, austères, vêtus de queues-de-pie, de hauts-de-forme et pleins de haine en eux. Rires sardoniques, propos sadiques, ils s'introduisent dans son univers, flanqués de policiers et d'un serrurier. Ainsi, est-elle surprise en robe de chambre, soufflée par la télévision. Cohorte de vampires, ils s'infiltrent par toutes les ouvertures de son appartement – fenêtres oscillo-battantes, bouches d'aération, conduits de poubelle. Les voilà, prompts à réclamer leur dû : des gouttes de sang prélevées sur le cou de leur débitrice au sommeil troublé. A nouveau, cette dernière agite le spectre des « nuissiers » : cette horde de sangsues effrayantes, sans lien avec son propre fils !

Le souffle, l'Univers, Éd. Intervention à Haute Voix, Chaville, 2015

 

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